Grandes entreprises : comment faire émerger de nouveaux business models ?

Innover, développer de nouveaux modèles d’affaires, ces deux objectifs sont au programme des CDO de toutes les grandes entreprises. Toutefois dans les grands groupes, nouveaux business models et business traditionnels ont du mal à coexister. Et si Schumpeter et Christensen, deux théoriciens de l’innovation, nous donnaient les clefs pour cela ?

De Schumpeter à Christensen, du cycle d’innovation à l’innovation de rupture

En 1939, Joseph Schumpeter est le premier économiste à théoriser l’importance de l’innovation et à en modéliser les cycles, les grandes entreprises l’ont aujourd’hui bien intégré : sans innovation, une entreprise est condamnée au déclin. Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School, introduit dans son premier livre, “The Innovator’s Dilemma”, oeuvre de référence de tous les créateurs de start-up,  le concept « d’innovation de rupture ». L’oeuvre de Christensen est énorme et fondamentale. Cependant elle reste méconnue en France, difficilement accessible, disséminée dans une multitude d’articles universitaires rarement traduits en Français.

 

Tout au long de son travail d’universitaire, Christensen s’efforce de démontrer que l’innovation n’est pas affaire d’invention, ou simplement d’innovation technologique, mais surtout de rupture du modèle d’affaire (disruptive innovation en anglais). Il démontre en quoi la rupture du business model est complexe à appréhender pour les grandes entreprises mais aussi en quoi elle est fondamentale pour les grands groupes dans un contexte d’accélération de la révolution digitale.

Le changement de business model, le “bumping heart” de l’innovation de rupture

Le maintien constant d’un niveau de créativité optimale, capable de renouveler aussi bien produits et services que pratiques et méthodes est crucial pour la pérennité d’une entreprise. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un grand groupe soumis à une concurrence féroce en terme de production mais aussi en terme de besoins de financement. Ces innovations permettent d’améliorer les produits existants le long d’une trajectoire de performance existante. Elles sont dites continues. Les innovations de rupture, elles, introduisent de nouvelles dimensions et de nouveaux critères de performance qui ne sont pas intégrées dans l’offre de service des grandes entreprises. Ces nouvelles offres induisent de nouveaux modèles d’affaire. Pour appuyer sa démonstration, Christensen se base  sur le cas “Kodak”. La firme de New York, leader du marché de la photo argentique et particulièrement du film photographique, est toutefois dépositaire d’un brevet concernant l’appareil photo numérique.

 

Dans le schéma ci dessus Christensen montre qu’en 1995, date de commercialisation, les caractéristiques techniques de l’appareil numérique n’incitent pas Kodak à sortir de son modèle d’affaire et à prendre le virage du numérique.

 

Malgré le potentiel du marché numérique et le sérieux incontestable de la firme centenaire américaine, elle ne se lance pas dans l’aventure de la photographie numérique. Non pas par frilosité comme nous pourrions être tentés de le penser, mais par manque d’adéquation avec le business model de l’entreprise. Malgré l’émergence du marché du numérique,  Kodak continue chaque année jusqu’en 2000 à vendre de plus en plus de pellicules argentiques. Enfin, les développements liés au numérique sont jugés trop élevés et pourraient menacer le modèle d’affaire de Kodak. Il en résulte un conflit entre la nouvelle et l’ancienne activité. L’entreprise est prisonnière de son modèle d’affaire.

 

En 2005, 10 ans plus tard, il est parfaitement clair que le numérique a dépassé l’argentique en tout point mais il est trop tard pour Kodak pour réagir et pivoter sur le marché du numérique. Le 19 janvier 2012, la société dépose le bilan. Kodak et ses filiales américaines demandent à bénéficier de la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites, afin de pouvoir se restructurer. Signe de ses difficultés, l’entreprise ne comptait plus que 17 000 salariés au moment du dépôt de bilan, contre 64 000 une dizaine d’années plus tôt.

 

Le corporate startup studio aide les grands groupes à repenser l’innovation

C’est en partie là que l’aide d’un corporate startup studio peut s’avérer fondamentale pour un grand groupe” commente Gilles Debuchy fondateur de Wefound. Lors de la phase d’idéation, les startup studio corporate aident les grandes entreprises à imaginer de nouveaux modèles d’affaires, car généralement si les groupes sont conscients de leurs besoins en terme d’innovation de rupture, ils ont du mal à établir des projections concrètes. “Dès la phase d’idéation, nous contribuons à isoler les nouveaux business models qui sont compatibles avec la culture historique du Groupe ou ses objectifs stratégiques” poursuit Gilles Debuchy.

 

 

Sortir de la spirale infernale de la compétition qui mobilise toutes les ressources financières disponibles

Christensen va plus loin dans son argumentation en faveur de l’innovation en développant l’exemple de Kodak dont le business model historique rendait la photo numérique non attractive. Certes, d’après Christensen, l’ancien modèle est condamné à terme, mais ce terme est incertain. Et en attendant, le business modèle traditionnel fournit l’essentiel des ressources de l’entreprise. Le nouveau modèle représente l’avenir mais ne fournira pas de ressources sérieuses et viables avant un temps incertain. Dans ce contexte, d’après Christensen, les investisseurs et partenaires financiers exigeront de concentrer tous les investissements sur l’ancien business model pour lutter dans un contexte de forte compétition. Et cette compétition sera rendue encore plus âpre avec l’introduction de nouveaux entrants, disruptifs eux…  “May the circle be unbroken”.


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